Genre, trouble

 

Cette femme, il est comme moi. IEl est pris·e en photo alors qu’iel n’avait pas envie de poser. IEL est coincé·e, étriqué·e dans sa robe à pinces aux manches mi-tombantes mi-bouffantes comme si iel et la robe appartenaient à des époques différentes.

Si ça se trouve, c’est même pas sa robe, on lui a collé ça devant un décor flou de sapin de Noël alors que c’est pas la saison. Les catalogues se préparent six à neuf mois à l’avance pour que le système de consommation tourne rond.

Cette femme, cet énergumène intemporel qui a connu l’époque de mon arrière-grand-mère s’appelle Evergumène. Il a posé devant les photographes qui lui ont dit « Tiens, mets tes chaussures vernies et cette robe à médailles exhibant ta vertu, on va te trouver un mari sans peine. »

Mais en fait, des maris, elle en a déjà eu. Et si elle pouvait éviter de s’en coltiner un cinquième, elle s’en réjouirait. Elle porte encore la bague du dernier qu’elle a découpé en petits morceaux… parce qu’il la baisait mal, la mâletraitait en fait. Le souci, c’est que sans mari, elle ne vaut rien. Alors elle rêve qu’elle vit à Boston et cohabite avec une femme sans choquer personne. Mais sans mari, elle ne sortira pas d’ici, et son futur ne la laissera jamais fuir. Il la mettra dans un cirque ou aux fourneaux. Pire, il la refilera à une lavandière rudoyante qui lui abîmera les mains.

 IEl rêve d’une femme de chambre. IEl rêve de posséder une femme de chambre. C’est vraiment du délire parce que c’est plus souvent ellui qui rend service aux grandes tailles. Un jour, iel aimerait vraiment être LA maîtresse, celle qui ordonne et dit « Occupe-toi de moi ! » « Lèche-moi ici et suce-moi là. » IEl rêve de vivre le lien dominant·e-dominé·e autrement                             mais pour l’instant, iel comble les désirs des autres.

 Alors, il se tient droite. Il prend courtoisement sa main droite dans sa main gauche, tandis que ses lèvres scellées et sa mine intiment plutôt « Je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins. » Car cette expression désabusée, ce regard ascendant vers l’objectif rappelle qu’il voit la majeure partie du monde en contre-plongée. À moins d’être sur échasses ou au sommet d’une motte, Evergumène voit la vie d’en-dessous et les gens qui l’entourent se mettent parfois à sa hauteur – quand ellils ont bu quatre à cinq schnaps.

Cette femme, il est comme moi il y a quelque temps. Sa coiffure a raté. En écho à la robe amidonnée qui l’emprisonne, sa mise en pli choucroutée devait faire trois étages. Parce que plus ya d’étages, plus ya de chances de se faire remarquer par des humain·es S·U·Périeur·es et d’éviter leurs crachats.

Ô oui, dans le code tacite de la civilité, c’est à elle de les honorer.
Elle reçoit les coups et ne doit pas broncher.

Étrangement, le raté de la coiffeuse du pénitencier lale rassure. Sa choucroute aplatie aurait été encore plus ridicule. IEl s’imagine en secret qu’iel a la tête rasée et que son aimée y frotte sa vulve poilue, que les fluides hydratent son cervelet et qu’iel ne dit plus rien d’autre que des

AH

d’extase.

 

Mais pour l’instant il fait HIC de peur, car s’iel a réussi à intégrer le bataillon des femmes grâce à diverses stratégies, elle sait bien qu’une fois nue, débarrassée de tout artifice, une fois testée médicalement, il devra encore et toujours subir une vision sociétale en décalage complet avec son ressenti intérieur.