le Podcast est là 🙂

En février 2023, je participais à une résidence collective entre traducteurices, au Collège des traducteurs d’Arles, suite à la bourse reçue pour Levées d’Encres d’ATLAS. J’ai rajeuni de 20 ans ou presque… ça me rappelait mes études. Incroyable, mais vrai le podcast est en ligne ! Vous pourrez m’y entendre lire des extraits d’un roman grec de Lila Konomara, une autrice pas encore publiée en français…

vous pouvez aussi découvrir d’autres auteurices du bassin méditerranéen lu·es par mes camarades… enregistré·es et monté·es par Cerise Maréchaud

https://www.atlas-citl.org/levee-dencres-2022-le-podcast-est-en-ligne/

Je vous écris de Hambourg

Hambourg où je séjourne entre deux projets de danse. Il y a eu NordTanz, un festival de Contact Improvisation où je donnais un intensif en nature ; il y aura le spectacle de la Contact CompanI les 9 et 10 novembre, précédé de 8 jours de répétitions.

Je suis donc à Hambourg depuis le 15 octobre et je m’éclate. Avoir froid est devenu quelque chose de si exotique pour moi… après les incendies en Grèce, la canicule marseillaise et l’été indien au Portugal, se promener par moins de 10 degrés sous une bruine légère est un réel plaisir. Le corps prend une autre forme, respire profondément. Le manque de lumière dû à la saison invite au retrait et je passe du temps en librairie ou dans les musées.

Deuxième plaisir, voir des feuilles aux arbres, des feuilles au sol, des arbres autres que des micocouliers, du jaune, du doré, du rouge au petit matin. Les teintes de l’automne sont les grandes absentes de ma vie près de la corniche Kennedy. J’éprouve une joie enfantine à sauter dans les feuilles, à marcher sur les trottoirs larges et propres, pas encombrés ni délabrés. J’apprécie la droiture des façades, leurs couleurs, leurs moulages et les quartiers ouvriers plein de briques. Je me coule dans une autre partie de moi qui m’avait manquée.

Troisième plaisir, pouvoir entendre de l’allemand, lire et traduire, revivre mes vies d’avant, car avoir plusieurs langues, c’est avoir plusieurs vies. Lori Saint-Martin l’a bien compris et son récit me conforte dans ma vie avec quatre langues. Quelle joie de lire un roman en grec, entendre de l’allemand, traduire un programme télévisé britannique, danser en deutglich. Bien sûr que parfois mon cerveau court-circuite, les langues se téléscopent dans ma bouche et je dis « ninety-sieben » et texte « I habe ». Comme une salade de langues dans mes veines. Comme un retour aux sources ? Je me surprends à verser un trait de bière dans mes spätzle. A manger des gros bretzels sur les quais de gare. Ce qu’enfant je trouvais rustre. Bon je n’en suis tout de même pas à chercher une taverne alsacienne accordéon oumpapa. Je préfère les soirées diaryslam ou fluctoplasma.

Un dernier mot sur Pour qui je me prends de Lori Saint-Martin publié aux éditions de l’Olivier. J’ai aimé le style simple et profond, et la démarche : revisiter son identité, accepter ce qu’on a voulu oblitérer, parcourir les différentes strates de soi. A travers son histoire personnelle, l’autrice, également interprète et traductrice de profession, parle de la mémoire invisible des langues dans l’espace familial et transgénérationel (et puis dans l’espace national, transfrontalier, transnational), comme on parle de traumas inscrits dans les corps (souvent secoués et révélés par la danse, la transe). Telle une archéologue de sa destinée, elle donne une véritable corporéité aux langues. C’est nourrissant, j’ai de nouvelles pistes pour penser ma façon de vivre mes quatre langues, sans ressentir de tiraillement ou de crise de schizophrénie profonde dès je me sens coincée dans des mots, étriquée dans une seule langue, une seule terre, un seul mode de pensée. C’est possible de s’évader, pas juste grâce aux livres, aux récits, mais à la création multilingue, à l’expression par le corps qui est un autre langage, presque universel…

Mes Pépites littéraires de l’été

ça y est vous êtes
dans le Vortex Septembrien
la houle de la rentrée littéraire
les appels à gogo et l’inscription aux nouvelles activités

eh bien en faveur de la décroissance
de la digestion et du regard sur les mois écoulés

je voudrais parler de lectures qui m’ont
accompagné·e, transporté·e, transcendé·e
pendant ces 3 derniers mois et tous ces
kilomètres parcourus en bus avion train

je vais commencer par celui que je n’ai pas pris en photo
car si vous n’en lisez qu’un c’est bien celui-là qu’il faut trouver

* BOULDER d’Eva Baltasar
traduit du catalan par Annie Bats, aux éditions Verdier

une jeune femme indépendante, cuisinière sur un navire marchand, comblée par le provisoire et ses amantes de passage, se sédentarise par amour, puis succombe à la demande de sa partenaire : avoir un enfant alors que ce processus de la PMA et l’expérience de la maternité l’éloignent toujours plus de son amour du grand air et de la liberté.
On passe de la Patagonie à l’Islande, au gré d’une écriture happante, jouissive, pétrie d’images fortes et organiques. Une ode au désir et à la liberté.
Je l’ai dévoré en deux jours à Paris et j’étais triste de quitter la langue poétique d’Eva Baltasar, très envie de lire Permafrost son premier roman.

Arrivé·e en Banlieue de Londres, j’ai chopé Hello Mum de Bernardine Evaristo
* Hello MUM
c’est la lettre d’un jeune mort vivant à sa maman
« a short sharp shot of rage »
dans une sombre cité au nord-ouest de Londres
un ado fait l’apprentissage de la peur &
de la survie auprès des mafieux
Il raconte à sa jeune mère pourquoi
elle ne capte rien à la vie qu’il mène
pourquoi elle ne peut pas le protéger de la guerre des gangs
de quartier pas plus que le système scolaire
la maturité n’est pas là où on pense, la gentillesse
n’a pas de place dans un monde où l’honneur se règle à coup de poignards

* HOT MILK de Deborah Levy
Autre roman dévoré en deux-trois jours (faut dire que dans les métropoles, ya assez d’heures de métro-train pour lire)
une Anglaise presque trentenaire (sorte d’anti-héroïne maladroite qui procrastine avec sa thèse d’anthropologie et vivote en tant que barmaid dans un café végan) accompagne sa mère hypochondriaque dans une clinique de luxe en Espagne dans l’espoir d’une guérison

J’ai adoré l’écriture fine, psychologique et déroutante, qui m’emmenait là où je ne m’y attendais pas, la réflexion subtile sur le rapport au corps, le psychosomatique, la relation mère-fille
le désir, la chaleur, les méduses, l’entêtement et le lâcher-prise

* COUPLETS de Maggie Millner
une autofiction en vers
découvert dans ma librairie préférée
Gay’s the word, 66 Marchmond Street,
pas loin de la British Library
je cherchais ce que je pourrais proposer aux éditeur·ices…
un bijou sortant de l’ordinaire, un texte qui me touche…

l’intrigue est simple : une jeune New Yorkaise découvre l’amour-fusion avec une femme, des femmes, et ne sait que faire de sa relation d’amour confiante et habituelle avec son compagnon

rupture, blessures, désillusions

j’ai apprécié que le sujet de la bisexualité ne soit pas un sujet, que l’histoire soit abordée par les tripes, les sens, sous une forme poétique complexe et musicale (4 livres et une coda). Presque tous les chapitres courts sont faits de « couplets », des petits couples, des couples de vers, des distiques en français me direz-vous… qui en disent long sur le couple. Les montagnes de misère qu’on se fait sur la vie à deux, la monogamie, la polygamie, les pratiques fortes et les plans planplan.
Car au fond qu’est-ce que l’amour, à deux ou à plusieurs, qu’y cherche-t-on, si ce n’est s’échapper à soi-même, se perdre et se fondre dans la matière ? Retourner dans le cocon premier ?

* Πράγματα που σκέφτεται η παρθένος Μαρία καπνίζοντας κρυφά στο μπάνιο
recueil de nouvelles d’Alexandra K* qui pourrait se traduire par
Pensées de la Vierge Marie qui se cache dans la salle de bain pour fumer

Celui-là, je vous en reparlerai, c’est sûr, j’ai déjà traduit 2 nouvelles et je ne compte pas m’arrêter là
chaque histoire est comme une prise de vue de la femme dans la Grèce contemporaine (la femme, les femmes, ses statuts, ses sacrifices, ses envies et tout ce qu’elle s’autorise)
le style est varié, touchant, désopilant ; le ton en général irrévérencieux
on y trouve des femmes de chambre albanaises, des mères au foyer, de bonnes écolières qui se plaignent de ne pas avoir été attouchées, des clichés déconstruits, des femmes qui perpétuent le système patriarcal, d’autres qui l’envoient valdinguer, des voisines d’âge avancé qui discutent quotidiennement sur le pas de leur porte, certaines nouvelles mêlent légendes urbaines, croyances et réalité, c’est génial et very much in your face

Un petit dernier pour la fin ?
* Son corps et autres célébrations de Carmen Maria Machado
traduit de l’anglais américain par Hélène Papot, aux éditions de l’Olivier

Sans dévoiler les histoires, j’aimerais célébrer le style à la fois dense et opaque de l’autrice. J’admire sa façon d’installer l’étrange dans le quotidien, son talent pour subtilement dénoncer les carcans sociétaux et tout ce qui s’acharne sur le corps des femmes.

Vous l’aurez deviné, le fil conducteur (inconscient) de mes lectures cet été c’était le corps, les *femmes cis/trans*, et au fil de mes marches et rencontres, j’en ai repéré d’autres …

Sur ma liste d’attente… il y a…
Life as a unicorn, a journey from shame to pride d’Amrou Al Khadi
το τέλος της πεινας de Lina Rokou

Girl, Woman, Other, toujours sur mes étagères
I and the Octopus, toujours sur mes étagères
Deux pièces de Maria Laïna, το δεντρο et λοξοί δρόμοι

et plein d’autres secrets 😉

En Colère !

Les traducteur·ices ont aussi des droits ! à la visibilité, à la rémunération, à la reconnaissance de leur travail tout simplement et il semblerait que certain·es personnes du spectacle vivant ne s’en rendent pas compte.

Quel dommage et je me demande quelle action, quel recours, je dois engager pour être enfin respectée par le Théâtre des Chartreux et la Cie Equivog. Le 1er avril 2023, j’ai appris par l’autrice d’un script que j’ai traduit il y a un an pour les Rencontres photographiques d’Arles, un texte alors dédié à un usage en salle et que je n’ai pas déclaré à la SACD immédiatement… qu’il était joué (!) à Marseille et que je n’avais pas été mise en courant.

ça a été l’occasion de rencontrer Mika Sperling, belle personne qui s’est excusée d’avoir confié mon texte à cette équipe sans m’en avoir parlé et a cherché à proposer réparation. Un mois plus tard cependant, l’équipe du Théâtre des Chartreux dont Eric Brunel le metteur en scène de Je n’ai rien fait de mal, ne répond pas à mes messages. IEls n’ont jamais mentionné mon nom sur leur site internet, l’affiche, le programme et tous les posts Facebook et encore moins les sites de billetterie en ligne que j’étais l’autrice-traductrice en français d’un script rédigé en anglais par la photographe Mika Sperling, d’ailleurs récompensée à Arles en 2022 par le prix du public ROEDERER pour son travail sur l’inceste et la révélation de l’intime par l’image découpée. Affaire à suivre…

Plus sur l’autrice photographe MIKA SPERLING, c’est par là


permis par la Levée d’Encre 2022 d’ATLAS

10 ans après ma première visite
8 ans après l’écriture de mon premier récit agenré situé à Corfou

j’arrive en résidence de traduction sur cette île ionienne, soutenu·e par le programme Levée d’encres 2022 d’ATLAS. Une résidence, ça veut dire quoi ?

Le GRAAAAAL pour l’artiste, l’écrivain·e, lae traducteur·ice, l’interprète, etc.

Surtout si elle est rémunérée ou assortie d’une bourse, signe de reconnaissance, d’un travail,

donc j’ai de la chance : mon projet de traduire des extraits d’une pièce de théâtre a été adoubé,

et c’est formidable                     
formidable d’être dans le pays, enfin, pour se reconnecter à la langue, à la langue courante et pas seulement littéraire, pour intégrer le ton des personnages de la pièce,
formidable de ne pas être chez moi, ne pas me préoccuper du ménage, des habitudes quotidiennes, de l’administratif chronophage.

Au fil des jours je note que pour être tranquille et concentré·e

ce n’est pas tant un lieu qu’il me faut, je peux très bien traduire en train, en bateau, dans un café, j’aime l’air libre et le mouvement ; c’est de la lumière qu’il me faut, je ne tiens pas dans les lieux sombres et confinés ;

ce qu’il me faut aussi pour m’y mettre, c’est un cahier et pas de connexion internet. Bien sûr que le recours au dictionnaire et à certains outils en ligne est indispensable. Mais pour me lancer et être avec le texte, je dois être coupé·e de la possibilité d’écrire des emails, recevoir des emails et me laisser distraire par les 3 000 autres tâches en cours de ma vie privée ou mes activités parallèles (préparer des cours de danse, des spectacles et des stages).

Peu importe la saison, je kiffe Corfou. Le goût des citrons et des tomates est tellement juste. Les jacarandas sont fournis. Les danseuses corfiotes heureuses d’être là devant l’objectif.

Au fil des jours je note aussi

qu’il est étrange d’être en contrée touristique pour travailler, pratiquer une activité qui n’a rien à voir avec l’industrie touristique. À première vue, je suis une touriste. Pas lorsque j’ouvre la bouche pour parler grec. Mais qui a envie de parler grec quand l’anglais est une deuxième nature pour les locaux dont l’ouverture sur autrui et l’accueil chaleureux est le premier moyen de remplir leur porte-monnaie ?

Les ennuis surgissent avant même mon départ. L’amie qui avait proposé de m’héberger gracieusement ne peut plus le faire pour des raisons de santé. Tristesse de ne pas la rencontrer. Trou dans le budget. Je trouve un joli studio en plein cœur de la cité, à deux pas de l’ancienne citadelle, du lion vénitien qui surveille.

C’est un double problème, car Dina avait aussi proposé de m’aider dans la traduction, je comptais passer des heures à lui poser des questions sur des passages épineux cachant souvent des citations cachées. Et je n’ai toujours personne à qui parler grec, si ce n’est les gens dans la rue, les échoppes ou éventuellement sur Tinder.

Je chope ce que je peux sur la Spianada. De temps à autre je joue à deviner à la forme de la bouche, à l’allure et à l’habit… qui vient d’où. Allemand·es, Anglais·es, Français·es peuplent les étroites allées du centre-ville.

C’est étrange d’être seul·e et c’est parti pour quinze jours de solitude. Mais c’est quoi la « solitude » si mes ami·es et collègues continuent de me parler via Telegram, Whatsapp, SMS, Facebook, gmail, lilo et riseup ?

Je suis une machine à messages. Je pense en mode message. Communication. Effet. Quelques mots et PAF j’attire l’attention. Les outils du marketing appliqués à l’individu. Mais je ne parle plus. Je rame pour trouver l’oralité. Je suis en surchauffe, en burn-out de ces communications. Je n’en peux plus de ces moyens divers de se dire des choses, sans vraiment se les dire, je nage dans une centaine de conversations qui ne cessent jamais. Quand est-ce que je pète un plomb ?

Je suis fatigué·e, mon cerveau n’en peut plus de formuler automatiquement des réponses et de ne parfois pas les envoyer, car si je les envoie, ça pourrait déraper.

Deuxième ennui dès le lundi 10 octobre, jour officiel du début de ma résidence. Le musée Solomos, qui m’avait accepté·e dans sa bibliothèque avec vue sur la baie, refuse ma présence le soir même, car la Société d’études corfiotes qui est y associée ne souhaite pas me voir dans ses bureaux privés. Mon sujet d’études n’est pas assez proche de Solomos, pas assez noble pour côtoyer les livres, tableaux et meubles vernis du poète maudit qui a rédigé l’Hymne à la liberté en 1823, devenu l’Hymne national grec, et base d’un des chants dans la pièce que je souhaite traduire.

Je ferai donc sans bureau au musée Solomos. De toute façon, je peux traduire partout. Je suis une traductrice nomade.

La traduction, ha, la traduction ! Je compte en feuillets, combien de pages par jour je dois décortiquer pour réussir ? Le mot « réussir » me fout en boule. Je ne veux pas réussir. Je veux entrer dans le texte, la peau des personnages, donner à entendre en français ce qui ne va pas en Grèce.

Il faut sauver Erémiti ! Il faut sauver tant de lieux et de gens saignés à blanc par la crise et les solutions trouvées par les banquiers et décisionnaires haut placés.

L’énergie de la danse me manque. Besoin de me défouler. Il pleut, il pleut. Je regarde la télé. Incroyable ces émissions matinales reflétant ce monde binaire masculin/féminin. On pensait en être sorti. Que nenni. Pas une présentatrice pas « canon » (blondie repulpée, talonnée, minijupée). Du rose et du bleu pour les équipes de filles et de garçons qui s’affrontent sur plateaux télévisés.

Ça fait trois, quatre jours que j’ai atterri, je me repose et j’observe, mais il faut que je revienne au texte, à la source, à la raison de ma venue

Méthodes révolutionnaires pour nettoyer votre piscine d’Alexandra K*

Επαναστατικές μέθοδοι για τον καθαρισμό της πισίνας σας της Αλεξάνδρα Κ*

Plusieurs questions émergent

Pourquoi traduire du théâtre si je n’ai pas prévu de monter cette pièce ? Donner à découvrir une autrice qui en vaut la peine, en dit long sur l’état de son pays et plus particulièrement Corfou ? Mais si cette pièce est adaptée, elle sera sûrement révisée pour convenir aux comédien·nes, elle passera par une étape de réécriture de plateau, non ?

Qu’est-ce que ça implique de traduire du théâtre ? De la langue soi-disant orale, soignée, évocatrice d’une époque, et pourtant universelle. C’est ma deuxième tentative de traduction théâtrale… et je me heurte aux mêmes obstacles. Oralité. Argot. Répétition. En grec, il est d’usage de répéter des mots dans la conversation. Est-ce que je dois m’y tenir ? C’est quoi rendre le débit d’un personnage ? À quel moment la répétition ne fonctionne-t-elle plus sur un plateau français ? Quel degré de vulgarité j’accepte ? Au fil de l’apparition du texte en français, la comédienne en moi se demande, est-ce qu’on dirait ça comme ça ? Comment se jouerait l’affrontement fille-père à la fin ? En quête de réponses, je relis Et le ciel est par terre de Guillaume Poix. Langue épurée. Répétitions martelantes. Oralité poétique.

Je veux des vacances. Une déconnexion véritable.

Je quitte le centre-ville de Corfou, me dirige vers Kassiopi. Je longe la côte, magnifique, Barbati, Kalami, lieu de résidence de la famille Durrell à la fin des années 1930. Je repasse à Ayion Spiridona, lieu sacré, mystique où j’ai situé mon récit en écriture inclusive en 2014, dans cette région si peu LGBTQI+.

C’est dégueulasse, la route est désormais signalée, la jungle d’il y a huit ans a disparu. Conséquemment, les déchets abondent. Et le crottin de cheval ! Paske maintenant y a des balades à cheval. Forcément, quand on est en vacances en Grèce entre des eaux chaudes et cristallines, le mont Pantocrator et l’Albanie, on a envie de faire des balades à cheval. Je me baigne nue sous la pluie, personne pour m’emmerder.

Il flotte, ça continue de tomber dru 48 heures durant. Les routes du sud de Corfou sont inondées. Des maisons aussi. L’an dernier à la même période y a déjà eu une grosse tempête. J’abandonne l’idée de l’exploration à pied.

Je pars voir sur la côte ouest, au moins là-bas, les hippies dansent sous le soleil pimpant. Je donne un cours d’initiation au butô.

Non, il ne reste pas une parcelle de nature sauvage à Corfou, juste quelques endroits protégés. Magnifiques. C’est le sujet de la pièce d’Alexandra K*. Elle aborde l’exploitation touristique de terres autrefois isolées, où les habitant·es vivaient autrement. C’était le monde d’avant. J’allais écrire d’avant le débarquement en masse des riches d’Europe du nord. Mais ce serait inexact. Corfou a toujours connu l’invasion, le métissage culturel et linguistique. Peuplée dès le Mésolithique, l’île à la géolocalisation stratégique en a vu venir de tous côtés. Latins, Byzantins, Angevins, Vénitiens, Albanais, Anglais, famille royale autrichienne, etc., etc.

Le monde d’avant, en Grèce, c’est celui d’avant la bascule, la crise de 2008-2010. Avant la signature du premier moratoire contraignant les Grecs à une phase d’austérité horrible. Avant l’exode discret de sa jeunesse vers d’autres contrées. Avant que le pays ne dévore les enfants qui lui restent (pour reprendre une expression locale). Avant que le gouvernement ne vende ses terres, privatise ses aéroports, ses centres d’accueil ou de rétention de réfugié·es politiques dorénavant appelés migrant·es (sûrement que ça responsabilise moins dans l’imaginaire collectif d’entendre qu’il y a encore eu « des migrant·es refoulé·es aux frontières », plutôt que des « centaines de réfugiés politiques ou climatiques qui disparaissent en mer »).

Suis-je encore traductrice ? Pourquoi j’ai autant de mal avec les mots depuis que la Covid-19 a pollué mon esprit, fait disjoncter mes synapses et que je peine à trouver les collocations d’usage. Je pensais que mon niveau de langue avait baissé par manque de pratique. Je faisais des erreurs que je ne faisais pas avant en anglais, mais il en va de même en français ! J’ai tendance à tout écrire comme ça s’entend. Je dois rééduquer ma cervelle, tout comme j’ai rééduqué mon nez.

Créer des phases de concentration pleine. Se réjouir une fois dedans.
Entrer dans le flux, la voix à traduire.

Parce que l’idylle a une fin, je quitte l’île et prends la route de Yannena (Ioannina sur la carte). Ferry. Bus. J’en rêve depuis des années, le cœur des montagnes, le cœur de l’Épire, le lieu de résidence d’Ali Pasha, c’est aussi ça, la Grèce.

J’arrive à Yannena au crépuscule, it is a different vibe. Les derniers rayons rosés sur les crêtes autour du lac. Sa quiétude. D’emblée, tout le monde me parle grec. Et c’est d’ailleurs là, posé·e, au bout de quelque chose, que j’ai travaillé !

Zéro distraction. Zéro plage onirique. Juste des promenades pour s’aérer le cerveau. Marcher à côté du texte, faire du yoga en soirée. Joie de traduire de jour, déconnectée du reste. Au bout de quelque part. Serais volontiers restée une semaine de plus. Mais le 22 octobre, il me faut revenir en France. Les étapes de nettoyage du texte, relecture et amélioration, ce sera pour Marseille, une fois que le premier jet aura maturé. Heureusement, Dina sera là, en distanciel.

Merci encore à toute l’équipe d’Atlas d’avoir permis cette parenthèse traductive en Grèce. J’espère que les extraits de la pièce d’Alexandra K* publiée aux éditions PATAKIS captiveront. Pas évident de les choisir ces extraits. Ce drame contemporain en trois actes est exubérant et loufoque. Les scènes assez longues. Pour rendre compte de leur dynamique, je tenais à en traduire une en intégralité. Mais j’avais aussi envie de rendre compte de la tension et de l’action dans la pièce. Et de faire entendre la voix de chaque personnage par le biais d’au moins une tirade. J’ai laissé tel quel les passages en langue non grecque, pour ne pas lisser le multilinguisme existant en Grèce. Dans le cas d’une mise en scène, je fournirais des surtitres.

Comment je fonctionne en tant qu’apporteuse de projets ? Je marche au coup de cœur, je me fie aux recommandations de mes ami·es dans le pays. Rarement je me fonde sur les meilleures ventes ou statistiques, car j’ai toujours l’impression que je ne serai pas la personne choisie pour traduire un best-seller. Ce n’est pas que je n’ai pas envie de traduire un best-seller, bien sûr que non ! C’est juste qu’au fil des ans, 10 de métier, j’en ai repéré des best-sellers, des autrices qui me plaisaient et qui ont gagné des prix et ces textes ont été traduits par d’autres… La lassitude m’a gagnée. Complainte ? Remise en question ? J’ai pensé à la reconversion. Mais finalement, je reste et persiste, j’aime trop les mots et le passage d’une langue à l’autre.

Donc quand j’apporte un texte et passe des heures à le défendre, c’est pour les idées qu’il véhicule et parce que les personnages m’ont touchée. Dans le cas de Méthodes révolutionnaires pour nettoyer votre piscine d’Alexandra K*, ce qui m’a tapé dans l’œil, c’est le paradoxe de l’existence, l’outrance, la quadrature du cercle (comment vivre bien dans ce monde capitaliste qu’on ne cesse d’alimenter ?), l’irréconciliable conflit des générations et le final ironico-surréaliste. J’espère qu’une troupe francophone aura envie de donner corps à cette pièce.

Levée d’encres en perspective…

De passage à Corfou en juin 2022, j’ai découvert cette pièce de théâtre extra intitulée Méthodes révolutionnaires pour nettoyer votre piscine d’Alexandra K* publié aux édition Patakis en 2018. Traduite en espagnol, italien, allemand et roumain, cette pièce jouée deux saisons au Théâtre national de Grèce et récompensée par le prix EURODRAM 2018 n’est pas connue en France. Grâce à l’ATLAS et à son programme Levée d’encres, je vais bénéficier d’une résidence sur cette belle île ionienne, malheureusement dénaturée par l’industrie touristique, et traduire des extraits afin de promouvoir cette pièce auprès de maisons d’éditions françaises.

Quand danse et traduction se donnent la main

Parmi les temps forts en traduction de l’année 2021, j’en parlais ci-dessous, il y a eu la découverte de Natalie Diaz, prix Pulitzer de Poésie 2021 pour Post Colonial Love Poem.  Traduire son poème « The First Water is the Body » pour les éditions Hatje Cantz dans le cadre d’un ouvrage somptueux sur le travail de Zoe Leonard, m’a procuré beaucoup de joie.

Le public français pourra dès septembre 2022 découvrir le recueil Poème d’amour postcolonial de Natalie Diaz aux éditions Globe dans une traduction de Marguerite Capelle…. Rendez-vous en librairies, ça vaut vraiment le coup, ces textes sont sublimes, sensibles, puissants.

« The First Water is the Body » m’a d’ailleurs tellement touché·e, inspiré·e, que ça a donné lieu à une performance intitulée RIVEBO, un duo corps et voix, créé avec Anaïs Bérenguer au Royal Cabanon, à Rognes, le 18 juin 2022. Nous l’avons rejouée en juillet et travaillons à présent à l’écriture d’une plus longue pièce.

L’écriture chorégraphique et musicale autour d’un poème se fait progressivement. Nous repérons les images (visuelles et émotionnelles émanant du texte et de son interprétation), nous retenons celles qui nous marquent le plus. Nous testons des accords, des contrastes, des cheminements entre deux interprètes en présence, l’un plus porté sur le mouvement, la circulation des énergies dans l’espace et le lien avec l’extérieur, l’autre plus centré sur le ressenti intérieur, la voix, le langage (intelligible ou non, Anaïs a son propre univers vocal).

Dès le début la question d’une potentielle chronologie s’est posée. Allait-on reprendre le fil narratif du poème ? Eh bien non. Même s’il peut servir de manière sous-jacente, j’ai préféré que nous construisions notre vécu performatif à partir du poème, isoler des passages qui nous ont marqué·es, travailler à l’enchaînement de mots glanés dans le texte, à la résonance entre mots, rythme, mouvement dansé, assonances et associations d’idées. Une structure a néanmoins émergé, spatiale et temporelle, une réécriture du poème honorant sa thématique.

Alors, de quoi il parle ce poème ? De sécheresse et plus spécifiquement de l’extinction du Colorado, de la terre et des humains amochés par le capitalisme colonial, du stade pré-verbal auquel il faut retourner, des fleuves qui coulent en nous, et je n’en dis pas plus pour que vous le lisiez en septembre. Enchanté, le public de juillet nous a donné très envie d’approfondir cette collaboration.

Photographies signées Nathalie Consolini. Un grand merci à Jo Bruhn pour le soutien apporté dans la première phase de développement.

Découverte de Takis Kampylis et du prix EUPL

Il existe depuis 2009 et reste assez confidentiel, juste connu des gens du milieu. Je trouve ça dommage, car le Prix de littérature de l’Union européenne permet de découvrir des auteurs et autrices d’horizons divers, et surtout de donner sa chance à des ouvrages qui ne passent pas toujours les frontières. Si seulement il avait la popularité de l’Eurovision, hein ? Faudrait-il lui ajouter des paillettes ?

Forcément j’écris pour vous parler d’un auteur en particulier, le candidat grec TAKIS KAMPYLIS dont j’ai eu les mots à traduire, et qu’ainsi j’ai passé un super moment.

Son roman Symptômes généraux surfe sur la vague de la pandémie, certes, mais quel régal. C’est drôle et poignant. Il y a des passages feutrés, imagés, qui permettent de visualiser Athènes au printemps 2020. Il y a cinq personnages, reflétant diverses facettes de l’humanité contemporaine. Ils partagent leurs angoisses et subissent pour certains le système qui les enferme. La crise économique et ses répercussions constituent presque un personnage fantôme de ce roman qui suit néanmoins une veine policière. C’est bel et bien une fiction.  Où il est importe de retrouver le meurtrier…

Lisez des extraits ici https://www.euprizeliterature.eu/fr/node/8017

(cliquez sur Excerpt / Translation en bas de page)

Temps forts de 2021

Contre toute attente, 2021 m’a offert de beaux rendez-vous avec les mots, les genres, le passage d’un mode de pensée à l’autre, et deux ouvrages m’ont permis de traverser les secousses covidiennes sans trop me plaindre. Il y a eu la traduction en tandem avec Emma Delforno d’un beau pavé TASCHEN

et puis

la traduction d’un tome énorme, d’une multitude d’essais, interviews et poèmes axés sur le Rio Bravo / Rio Grande, sa région et ses peuples. Cette collection de textes accompagne le travail photographique de Zoe Leonard sur ce fleuve servant de frontière depuis pas si longtemps finalement. si on se place à l’échelle de la planète, à l’échelle des continents qui se forment et se déforment, ce à quoi l’humain contribue fortement bien évidemment.

Ce que j’ai vraiment apprécié pendant la phase de traduction, c’est le recul que ça m’a permis de poser sur ce que nous vivions alors, les règles liberticides, la visibilisation de la transition vers une surveillance électronique acceptée à quasi unanimité. La dépression profonde face à monde qui est nécessairement différent d’il y a 30 ou 40 ans. Qu’il n’y a pas vraiment de bouton REWIND ou RESET. Qu’on peut toujours se la raconter, mais pendant qu’on se préoccupe de sort de la bourse et du pouvoir d’achat, des peuples crèvent, leur art et leur savoir aussi, et si les moyens technologiques changent, le principe de l’exploitation d’un individu par un autre et de l’oblitération d’un groupe d’individus par un autre n’a rien de nouveau et ça continue, et nous sommes toustes en cause.

Sans m’enliser trop dans mes pensées, je vous invite à vous rendre au Musée d’Art moderne de la ville de Paris cet automne 2022. L’exposition qui a été créée au Musée du Luxembourg s’y trouvera et ce sera l’occasion de se perdre dans les étendues photographiées par Zoe Leonard et d’en apprendre sur l’histoire de la frontière Mexique-Etats-Unis et des peuples transfrontaliers.

https://www.hatjecantz.de/zoe-leonard-7919-1.html

https://www.mam.paris.fr/fr/expositions/exposition-zoe-leonard

Traduire la poésie d’Ali Smith

est un cadeau qui m’a été offert par le MUDAM au Luxembourg, dans le cadre de l’exposition Me, Family. Portrait of a young planet organisée par le Musée d’Art Moderne du Grand-Duc Jean. C’était une mission-plaisir que de traduire The Art of Family / The Family of Art par Ali Smith, son flux, ses jeux de mots, ses sous-entendus et ses surprises.

Je viens de recevoir le catalogue et en plus de retrouver Doug Aitken ou Cindy Sherman, je découvre des artistes émergent·es du monde entier associés à cette exposition hommage à Edward Steichen et son exposition The Family of Man. Parmi mes préféré·es je retiens Lara Baladi, Mario Pfeifer, Sophia Al Maria,  et Cheng Ran et son Diary of a Madman, 2016-2017 (voir dans le diaporama ci-dessous).

Cat-Exp-MUDAM-2020 Ran Cheng p 162 Ran-Cheng-p.-164 Texte-Ali-Smith-traduction-Aude-Fondard Lara-Baladi-p.-84

Nouvelles Parutions, été 2020

il est arrivé et je souris de le tenir entre mes mains… des mois de travail, de recherche et de pratique plus tard, y compris des allers-retours avec l’équipe éditoriale afin d’aller au fond des choix de traduction…

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L’anatomie du centre est paru est je n’en suis pas peu fière. C’est ma première collaboration avec les éditions Contredanse, si importantes pour la danse Contact Improvisation et la transmission en français de documents sur de nombreux artistes chorégraphiques étatsuniens … Un article-entretien devrait vous en dire plus à propos de cette maison d’édition…  en décembre… alors patientons

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Ce qui m’a le plus plu dans ce travail, c’était d’enfin pouvoir mêler écriture et mouvement, exercices pratiques pour le corps et l’esprit, dans un livre chouettement illustré de 70 pages en tout. Un livre indispensable pour aller à la rencontre de sa charpente interne… en douceur et bâillements grâce à la Release Technique.

Et pendant que je suis là, autant vous parler d’entrare nell’opera… livret journal accompagnant une exposition présentée au musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne… l’année passée

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Là aussi, ce fut un plaisir de me pencher en profondeur sur la pratique d’artistes de l’art pauvre, infiltrer les origines de l’art performatif et mieux comprendre la genèse d’oeuvres qui m’ont bercée  et indirectement touchée, influencée… Je pense à des actions et installations de Jannis Kounellis, Marisa Merz, et Giuseppe Penone.

mais c’était aussi l’occasion d’en apprendre sur les artistes militantes italiennes comme Carla Lonzi.

L’expo actuelle au MAMC SEM traite du corps perceptif et j’ai bien envie de faire le déplacement depuis Marseille…

Traduction littéraire

Diplômée en traduction littéraire depuis 2005, et certifiée par l’Asfored et le CNL depuis décembre 2019, je suis à mon compte et navigue au quotidien entre l’anglais, l’allemand, le grec moderne et le français depuis 2008. Je suis membre de l’ATLF, de l’ATLAS et de la SCAM. Pour toute question ou lecture, contactez-moi, je vous répondrai avec plaisir :

a.fondard.trad [a] gmail.com

Ma spécialisation en histoire de l’art m’a conduite à traduire bien des ouvrages pour la Réunion des Musées Nationaux, Taschen, Benteli et Hatje Cantz. En parallèle, depuis 2012, j’ai adapté un grand nombre de programmes audiovisuels (voice-over et sous-titrage) pour Arte, la BBC et des chaînes du câble (Voyage, RMC Découverte, National Geographic, Histoire, etc.).

Chaque discipline a ses particularités. J’aime le caractère synthétique et créatif du sous-titrage, tout comme le défi de retranscrire l’oralité pour la voice et le théâtre.

danse, arts et fiction

La fiction m’a toujours passionnée et je veux partager des voix inconnues en terrain francophone, des histoires captivantes venant d’autres univers. En 2012 et 2013, j’ai obtenu des bourses (les programmes Georges-Arthur Goldschmidt et Vice-Versa) qui m’ont permis de découvrir le monde de l’édition et de nouer des liens avec d’autres personnes du métier.

En 2019, je suivais les cours de l’Ecole de Traduction Littéraire financée par l’Asfored et le Centre National du Livre et c’était un bonheur, une grande source d’inspiration.

Vous retrouverez sur le blog de l’ETL mon portrait de traductrice ainsi que mon CV express.

Quelques couvertures de projets récents auxquels j’ai contribué

L'Anthologie de la nature, Ben Hoare, éditions Auzou Wilhelm Uhde au LAM Vienne 1900 Taschen Ernst Haeckel Taschen

un BONUS ? –> des liens vers des textes qui me tiennent à cœur et qui n’ont pas trouvé de soutien éditorial en français . . .

Poétique du sexe, une nouvelle de Jeanette Winterson (traduite de l’anglais britannique)

Poèmes de Níkos Engonópoulos (partagés Live lors de la soirée trad en bouche le 23 février 2019 à la Trockette)

Préface de Denial par Jessica Stern (traduite de l’anglais américain) – page en construction

oh ce beau papier délivré par l’Ecole de Traduction Littéraire, et le Centre National du Livre :D

certification ETL nov 2019

Mon CV de traductrice ? un aperçu des publications auxquelles j’ai participé ces dix dernières années… c’est ici : CV TRADUCTION Aude Fondard Automne 2020